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Le management dans le cambouis
Quelqu'un me faisait remarquer l'autre jour que les propos de Crawford sur les "métiers fantomatiques" étaient méprisants et que de la défense des métiers manuels il en fait une attaque contre les tâches de gestion ou de management.
Je n'ai pas ressenti cela en lisant le livre de Crawford et il s'agit peut-être tout simplement d'un manque de contexte dans mes 2 billets sur le sujet. Quand Crawford fait la critique du travail qui n'a pas de production tangible, il se base principalement sur son expérience de rédacteur de résumés d'articles scientifiques, tâche qu'il a vécu comme quelque chose qui n'avait aucun sens ni aucune vraie utilité. Il est donc très négatif sur ce type d'activité, mais j'ai compris sa critique comme une explication du non sens que l'individu peut vivre (il en est donc victime) et non comme un mépris de l'individu qui réalise la tâche.
Je ne pense pas que la critique de Crawford doive être interprétée comme une façon facile de taper sur les chefs qui profitent du travail de leurs subordonnés. En tout cas, ce serait vraiment naïf de penser que tous les postes dans les entreprises qui ne sont pas liés directement à la production sont "fantomatiques". Il y a souvent besoin de postes de management, non pas pour des questions d'autorité ou de prise de décision seulement, mais surtout pour que quelqu'un puisse avoir une vue d'ensemble d'activités qui impliquent beaucoup de contributions et parties différentes. Il est souvent crucial de détecter des possibilités de collaboration, détecter des doublons inutiles, etc. Ou pour utiliser la LQR, développer des synergies.
Ce n'est peut-être pas nécessaire dans un atelier de réparation de motos où travaillent 4 ou 5 personnes, mais pour concevoir une des motos qui y sont réparées, il faut bien quelques dizaines, voire quelques centaines de personnes, chacune spécialiste de technologies très différentes. Sans des individus qui sont capables de tisser des liens entre ces différentes activités, il est impossible d'arriver à des résultats efficacement.
Je pense que le livre de Crawford a 2 messages principaux :
- des individus peuvent avoir besoin de mesurer de façon objective l'utilité de leur travail;
- le travail technique ou manuel a une valeur aussi grande que le travail purement cognitif ou de gestion qui a tendance à être vu comme la seule voie de réussite professionnelle.
Métiers fantomatiques et jugement infaillible de la réalité
J'ai l'impression que le livre de Crawford1 à propos duquel j'ai commencé à écrire ici, va me donner beaucoup de matière pour ce blog.
Dans son ouvrage, Crawford "plaide plaide pour un idéal qui s'enracine dans la nuit des temps mais ne trouve plus guère d'écho aujourd'hui : le savoir-faire manuel et le rapport qu'il crée avec le monde matériel et les objets de l'art." Il est conscient que son point de vue est difficile à défendre dans notre société de la connaissance :
Ce type de savoir-faire est désormais rarement convoqué dans nos activités quotidiennes de travailleurs et de consommateurs, et quiconque se risquerait à suggérer qu'il vaut la peine d'être cultivé se verrait confronté aux sarcasmes du plus endurci des réalistes : l'économiste professionnel. Ce dernier ne manquera pas, en effet, de souligner les "coûts d'opportunité" de perdre son temps à fabriquer ce qui peut être acheté dans le commerce. Pour sa part, l'enseignant réaliste vous expliquera qu'il est irresponsable de préparer les jeunes aux professions artisanales et manuelles, qui incarnent désormais un stade révolu de l'activité économique. On peut toutefois se demander si ces considérations sont aussi réalistes qu'elles le prétendent, et si elles ne sont pas au contraire le produit d'une certaine forme d'irréalisme qui oriente systématiquement les jeunes vers les métiers les plus fantomatiques.
Par "métier fantomatique", Crawford entend les activités non directement productives et dont le résultat n'est pas tangible ou mesurable.
Qu'est-ce qu'un "bon" travail, qu'est-ce qu'un travail susceptible de nous apporter à la fois sécurité et dignité? Voilà bien une question qui n'avait pas été aussi pertinente depuis bien longtemps. Destination privilégiée des jeunes cerveaux ambitieux, Wall Street, a perdu beaucoup de son lustre. Au milieu de cette grande confusion des idéaux et du naufrage de bien des aspirations professionnelles, peut-être verrons-nous réémerger la certitude tranquille que le travail productif est le véritable fondement de toute prospérité. Tout d'un coup, il semble qu'on n'accorde plus autant de prestige à toutes ces méta-activités qui consistent à spéculer sur l'excédent créé par le travail des autres, et qu'il devient de nouveau possible de nourrir une idée aussi simple que : "Je voudrais faire quelque chose d'utile".
Il est intéressant de noter qu'il appelle cela "un bon travail". Cette qualification va au delà de l'aspect politique marxisant. Pour Crawford, il est avant tout question de bien être de l'individu qui exerce l'activité. Il explique, par exemple, sa propre expérience d'électricien :
Le moment où, à la fin de mon travail, j'appuyais enfin sur l'interrupteur ("Et la lumière fut") était pour moi une source perpétuelle de satisfaction. J'avais là une preuve tangible de l'efficacité de mon intervention et de ma compétence. Les conséquences étaient visibles aux yeux de tous, et donc personne ne pouvait douter de ladite compétence. Sa valeur sociale était indéniable.
Et la satisfaction ne venait pas seulement de cette "valeur sociale", mais aussi (surtout?) la fierté du travail bien fait :
Ce qui ne m'empêchait pas de ressentir une certaine fierté chaque fois que je satisfaisais aux exigences esthétiques d'une installation bien faite. J'imaginais qu'un collègue électricien contemplerait un jour mon travail. Et même si ce n'était pas le cas, je ressentais une obligation envers moi-même. Ou plutôt, envers le travail lui-même – on dit parfois en effet que le savoir-faire artisanal repose sur le sens du travail bien fait, sans aucune considération annexe. Si ce type de satisfaction possède avant tout un caractère intrinsèque et intime, il n'en reste pas moins que ce qui se manifeste là, c'est une espèce de révélation, d'auto-affirmation. Comme l'écrit le philosophe Alexandre Kojève, "l'homme qui travaille reconnaît dans le Monde effectivement transformé par son travail sa propre œuvre : il s'y reconnaît soi-même, il y voit sa propre réalité humaine, il y découvre et y révèle aux autres la réalité objective de son humanité, de l'idée d'abord abstraite et purement subjective qu'il se fait de lui-même."2
Et c'est le lien entre cette idée subjective de soi même et la réalité objective du résultat produit qui fait qu'il y a des activités professionnelles qui peuvent être très épanouissantes. Le revers de la médaille est évidemment l'échec impossible à dissimuler, à différence des métiers non productifs, dont les résultats sont difficiles à mesurer quantitativement et même à évaluer qualitativement :
La vantardise est le propre de l'adolescent, qui est incapable d'imprimer sa marque au monde. Mais l'homme de métier est soumis au jugement infaillible de la réalité et ne peut pas noyer ses échecs ou ses lacunes sous un flot d'interprétations. L'orgueil du travail bien fait n'a pas grand-chose à voir avec la gratuité de l'"estime de soi" que les profs souhaitent parfois instiller à leurs élèves, comme par magie.
Crawford parle de "vantardise", ce qui peut-être compris comme étant moqueur dans cette citation hors de contexte. De mon point de vue, Crawford est très dur avec les activités qu'il appelle "fantomatiques" plus haut, mais il ne s'attaque jamais aux individus qui les exercent. Il y a dans le livre quelques pages sur les postes de management3 qui expliquent bien la difficulté d'occuper ce type de poste :
Pour commencer, Jackall4 observe que, malgré la nature essentiellement bureaucratique du procès de travail moderne, les managers ne vivent nullement leur rapport à l'autorité comme quelque chose d'impersonnel. Cette autorité est en fait incarnée dans les personnes concrètes avec lesquelles ils entrent en relation à tous les niveaux de la hiérarchie. La carrière d'un individu dépend entièrement de ses relations personnelles, entre autres parce que les critères d'évaluation sont très ambigus. Par conséquent, les managers doivent passer une bonne partie de leur temps à "gérer l'image que les autres se font d'eux". Soumis sans répit à l'exigence de faire leurs preuves, les managers vivent "dans une angoisse et une vulnérabilité perpétuelles, avec une conscience aiguë de la probabilité constante de bouleversements organisationnels susceptibles de faire capoter touts leurs projets et d'être fatals à leur carrière", comme l'écrit Craig Calhoun5 dans sa recension du livre de Jackall. Ils sont ainsi systématiquement confrontés à la "perspective d'un désastre plus ou moins arbitraire".
Malheureusement, et par le Principe de Peter, les individus techniquement compétents sont poussés à suivre des carrières qui les amènent à des postes où ils finissent par perdre tout contact avec la réalité concrète du travail et se retrouvent dans les situations décrites ci-dessus. Il reste encore des entreprises où l'excellence technique est reconnue comme une filière aussi importante que le management.
D'un autre côté, il faut bien reconnaître que dans les grosses structures il est nécessaire de gérer les équipes et que quelqu'un doit assurer une vision d'ensemble des activités, même si ce sont des tâches peu épanouissantes.
Footnotes:
Matthew B Crawford, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, 2010, 249 p., EAN : 9782707160065.
Alexandre Kojève Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, Paris, 1980, p.31-32
Le management ici a un sens trè général et non pas strictement hiérarchique. Par ailleurs, Crawford aborde la notion de hiérarchie basée sur une compétence technique, qu'il juge assez positivement.
R. Jackall, "Moral mazes : The world of corporate managers", Oxford University Press, 1988
C. Calhoun, "Why do bad careers happen to good managers?"
La dégradation du travail selon Crawford
Dans "Éloge du carburateur"1, M. Crawford explique que la distinction entre travail manuel et intellectuel est artificielle et relativement récente :
"L'émergence de la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel n'a rien de spontané. On peut au contraire estimer que le XXe siècle s'est caractérisé par des efforts délibérés pour séparer le faire du penser. Ces efforts ont largement été couronnés de succès dans le domaine de la vie économique, et c'est sans soute de succès qui explique la plausibilité de cette distinction. Mais dans ce cas, la notion même de "succès" est profondément perverse, car partout où cette séparation de la pensée et de la pratique a été mise en oeuvre, il s'en est suivi une dégradation du travail."
Il fait ensuite le constat que cette dichotomie a été étendue à des tâches qui étaient censées être purement intellectuelles, car le point important n'est pas tellement que le travail soit physique ou symbolique, mais plutôt que l'individu le réalisant ait de la latitude dans ses actions (agency) :
"Une bonne partie de la rhétorique futuriste qui sous-tend l'aspiration à en finir avec les cours de travaux manuels et à envoyer tout le monde à la fac repose sur l'hypothèse que nous sommes au seuil d'une économie postindustrielle au sein de laquelle les travailleurs ne manipuleront plus que des abstractions. Le problème, c'est que manipuler des abstractions n'est pas la même chose que penser. Les cols blancs sont eux aussi victimes de la routinisation et de la dégradation du contenu de leurs tâches, et ce en fonction d'un logique similaire à celle qui a commencé à affecter le travail manuel il y a un siècle. La part cognitive de ces tâches est "expropriée" par le management, systématisée sous forme de procédures abstraites, puis réinjectée dans le procès de travail pour être confiée à une nouvelle couche d'employés moins qualifiés que les professionnels qui les précédaient. Loin d'être en pleine expansion, le véritable travail intellectuel est en voie de concentration aux mains d'un élite de plus en plus restreinte. Cette évolution a des conséquences importantes du point de vue de l'orientation professionnelle des étudiants. Si ces derniers souhaitent pouvoir utiliser leur potentiel cérébral sur leur lieu de travail tout en n'ayant pas vocation à devenir des avocats vedettes, on devrait les aider à trouver des emplois qui, par leurs caractéristiques propres, échappent d'une façon ou d'une autre à la logique taylorienne."
La cause sous-jacente en serait donc l'optimisation recherchée par le taylorisme. La conséquence est donc la perte de la maîtrise, des compétences du métier. Et ceci est doublement dramatique, car la créativité n'est pas une qualité des esprits géniaux, mais plutôt le résultat de compétences capitalisées dans la durée :
"En réalité, bien entendu, la véritable créativité est le sous-produit d'un type de maîtrise qui ne s'obtient qu'au terme de longues années de pratique. C'est à travers la soumission aux exigences du métier qu'elle est atteinte (qu'on songe à un musicien pratiquant ses gammes ou à Einstein apprenant l'algèbre tensorielle). L'identification entre créativité et liberté est typique du nouveau capitalisme; dans cette culture, l'impératif de flexibilité exclut qu'on s'attarde sur une tâche spécifique suffisamment longtemps pour y acquérir une réelle compétence. Or, ce type de compétence est la condition non seulement de la créativité authentique, mais de l'indépendance dont jouit l'homme de métier."
On pourrait donc conclure que la logique économique pousse à la perte de compétences, qui elle entraîne le manque de créativité, la limitation de la liberté de l'individu dans son travail et enfin la frustration. Ceci est finalement assez cohérent avec ce qu'on entend souvent autour de la machine à café au boulot.
Mais ce serait trop simpliste d'oublier que souvent les individus eux-mêmes ont très envie de quitter des tâches techniques et concrètes. Parfois on dit que c'est la seule façon de faire carrière. Il doit y avoir aussi des cas où l'on essaye d'échapper à la réalité concrète des problèmes à résoudre :
"Dans toute discipline un peu ardue, qu'il s'agisse du jardinage, de l'ingénierie structurale ou de l'apprentissage du russe, l'individu doit se plier aux exigences d'objets qui ont leur propre façon d'être non négociable. Ce caractère "intraitable" n'est guère compatible avec l'ontologie du consumérisme, qui semble reposer sur une tout autre conception de la réalité."
Le désengagement vis-à-vis du travail concret est illustré par Crawford seulement sous l'aspect de l'aliénation par le découpage en sous-tâches simples et qui ne demandent pas de compétence particulière. Il y a un tout autre mode de désengagement qui mène au même résultat : la délégation, le faire faire au lieu de faire.
Souvent, les raisons de ce choix sont les mêmes que celles de la taylorisation : faire des économies (il est plus facile d'obtenir un budget one-shot que de dégager des RH). Ce qui est brillant dans le choix de la sous-traitance est qu'on n'a même pas besoin de faire de l'ingénierie de la connaissance pour automatiser le processus de production. Il suffit de passer un contrat. On peut même appliquer des pénalités au fournisseur en cas de délais2.
La grosse différence par rapport à la taylorisation est que ce n'est pas un ensemble d'individus incompétents qui travaillent à la chaîne pour accomplir la tâche, mais plutôt des clients de moins en moins compétents qui passent des contrats dont ils sont incapables d'évaluer les résultats. Mais cela tombe bien, puisqu'en face, les fournisseurs, jadis compétents et fiers, appliquent la même recette de façon transitive et ne se privent pas d'ajouter de la taylorisation dans la formule.
Si vous avez fait construire un joli pavillon avec jardin en banlieue, vous savez de quoi je parle. Si vous avez fait faire des travaux de rénovation, aussi. J'ai aussi entendu des anecdotes similaires dans des commandes auprès de graphistes, dans le développement informatique, dans la recherche scientifique. On en est tous un peu victimes et responsables à la fois.
Nous avons perdu la fierté d'avoir un métier et de bien le faire. Merci M. Taylor.
Allez, retournez à vos PPT et vos tableurs.
Footnotes:
Comment choisir sa maîtresse
Benjamin Franklin a la réponse : il faut la choisir âgée. Dans une lettre1 à un ami anonyme, il en donne 8 raisons :
- Grâce à leur expérience, les femmes âgées ont une conversation bien plus intéressante que les jeunes filles2.
- Quand les femmes cessent d'être belles, elles ont tout intérêt à être gentilles avec les hommes.
- Il y a moins de chances d'avoir des enfants avec elles, ce qui élimine beaucoup de soucis3.
- Elles sont réservées et discrètes, ce qui protège la réputation de l'homme qui ne veut pas que l'affaire soit connue4.
- On pourrait croire que l'âge avancé serait un inconvénient pour ce qui concerne la beauté, mais Franklin suggères que, les bipèdes commençant à vieillir par le haut du corps, il suffit d'un panier pour cacher un visage ridé. On ne peut ensuite plus faire la différence entre une jeune et une vieille.
- Le pêché est moindre. Se conduire de façon débauchée avec une jeune vierge peut lui ruiner la vie.
- Il y a moins de culpabilité à rendre un vieille femme heureuse qu'à rendre une jeune fille misérable.
- Et enfin, elles sont si reconnaissantes!4
Des conseils du tonnerre – comme d'habitude – de la part de l'ami Ben!
Ayant connu la foudre déchaînée5 de femmes blessées involontairement, après avoir écrit ça, je craignais pour ma sécurité physique et celle du disque dur qui héberge ce fichier. J'ai donc pensé à proposer un texte équivalent mais avec le point de vue d'une femme. Je me disais que Virginia Wolf aurait pu écrire quelque chose là-dessus, mais je n'ai rien trouvé. Dans mes recherches, je suis tombé sur des témoignages émouvants, comme par exemple celui-ci6 :
Cela fait plusieur année que mon couple ne va plus. Je frequente un club de tennis et la je suis tombée follement amoureuse de mon prof de tennis. Je suis prete a tout quitter […]
Mise à jour : La mon maris est rentre du travail il me prend trop la teteje le quitte […]
Mise à jour 2: LILI je suis actuellemnt chez une copine mon mari me cherche partout […]
Ah, ces femmes qui font tout dans leur vie sur un coup de tête! Le père Léon constatait déjà :
Pour choisir un amant, il suffit qu'on en ait envie. Et pour choisir un mari, combien le jugement serait plus sûr et plus libre, si l'on avait d'abord eu l'amant.7
Et les mots de Balzac complétaient8 :
Il est plus facile d'être amant que mari, par la raison qu'il est plus difficile d'avoir de l'esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps.9
J'ai encore donné la parole à des hommes! Il y a aussi des femmes organisées et qui réfléchissent avant d'agir. Les conseils de professionnelles10 ne manquent pas :
La routine qui pèse sur votre couple vous pousse à chercher ailleurs de l'herbe plus verte sans pour autant quitter votre époux. Dites-vous que ce n'est pas un acte anodin et qu'il vous faudra inventer constamment des excuses. Vivre une double vie n'est pas de tout repos ! Êtes-vous réellement prête ?
Après ce type de mise en garde, les conseils n'ont rien à envier à ceux de Franklin :
Que les choses soient claires dès le début et pour les deux partenaires : votre relation n'est que charnelle. Cela ne vous empêche évidemment pas d'être avec un homme intelligent et respectueux avec qui vous avez des intérêts communs. Mais cette relation ne peut a priori pas être sentimentale.11
Ou encore mieux ici, même si on ne parle pas de panier sur la tête :
Son âge :
Plus de 18 ans, pour commencer, au cas où vous auriez un doute. Pas l'âge de votre aîné, si vous en avez un, pas non plus celui de votre aînée, ou alors ne lui présentez jamais. En dessous de 28 ans, c'est beau et ferme, mais c'est encore à l'école (et ça aime pas bien qu'on aille l'y chercher). Entre 30 et 40, c'est pas mal mais en général maqué et encore amoureux. Après 40 c'est un peu blasé, ou fraîchement divorcé. Après 50 c'est moins risqué, mais aussi moins vigoureux.
Et voici un aspect que Franklin n'avait pas pris en compte :
Pensez à vos escapades amoureuses. En période d'hiver, privilégiez les propriétaires de véhicules disposant d'un chauffage et les usagers des transports en commun. L'été, mention très bien pour les scooters et les voitures climatisées (à condition qu'il y ait des préservatifs dans la boîte à gants et pas de sièges auto à l'arrière).
Mais pas de référence aux joies de la brouette. Étonnant, non?
Footnotes:
J'avais découvert ce texte par hasard dans une librairie : L'art de choisir sa maîtresse et autres conseils indispensables, trad. Marie Dupin, Éd. Finitude, 2011 - ISBN 978-2-912667-95-3
Je confirme.
Pour rappel, on parle de maîtresse ici, pas d'épouse.
Les temps ont changé depuis Franklin.
Et sans paratonnerre.
Je garde l'orthographe originale, qui reflète bien l'état d'esprit de l'héroïne.
Léon Blum, Du Mariage, 1907.
Chez qui on croirait sentir l'aigreur du mari cocu, mais qui aurait été dans l'autre camp le plus souvent.
Balzac, Études analytiques : Physiologie du mariage ou Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal, Aphorisme XLIX, 1824–1829.
Valeur, norme, repère, principe
Avec Charlotte nous avons des discussions sur la vie, les projets, l'éducation des enfants et le whisky. Lors d'une de nos soirées hédonistes, après avoir parlé de son plombier bouddhiste, nous avons feuilleté quelques livres que j'avais pris à la bibliothèque en cherchant des textes sur la méditation.
C'est la faute au plombier, qui recommande l'amour tantrique à toutes ses clientes. Sa souplesse de yogi m'a rendu jaloux et je me suis retrouvé dans le rayon développement personnel à choisir entre Christophe André et Matthieu Ricard. Ne pouvant pas me résoudre à emprunter le best of Psychologies Magazine, j'ai cherché le livre qui avait l'apparence la plus académique :
Philippe Lefèvre, "Choisir sa vie. Vivre ses choix". Ed. Chronique Sociale, 2001, ISBN 2-85008-409-3
Je l'admets, le titre n'est pas très académique, mais la mise en page est bien mauvaise (on aurait pu faire ça avec Word) et il y a une bibliographie contenant les oeuvres de Rilke, Foucault et Jung.
Sous son aspect austère, je m'attendais à trouver la recette du bonheur au détour d'une page. Et bien non. Ça commence par un lexique de 3 pages pour bien définir la terminologie utilisée. Et voici ce que l'on trouve à l'entrée Valeur, norme, repère, principe :
La norme ainsi que nos valeurs font partie des repères qui nous permettent de nous situer et faire nos choix. La norme est notre premier repère fonctionnel, avant même que nos valeurs ne soient mises en place : elle est pratique, car connue et reconnue de tous, mais elle ne laisse pas de place à la spécificité et à l'unicité de la personne. Des valeurs nous sont d'abord transmises par nos parents et d'autres éducateurs, puis nos propres valeurs se mettent en place, au fur et à mesure de nos expériences. Les principes s'appuient sur nos valeurs pour déterminer des règles de vie, qui nous aident à étayer nos choix et nos comportements.
Donc face à un choix, on a en gros 2 possibilités :
- Utiliser des principes, qui eux, s'appuient sur des valeurs.
- Ne pas réfléchir et faire comme les autres (la norme). C'est pratique.
Quelle angoisse! Et vous, préférez-vous 1 ou 2?
Bovarysme
La première fois que j'ai vu une référence au bovarysme c'est dans le livre de Daniel Pennac "Comme un roman". Le droit au bovarysme est le sixième droit imprescriptible du lecteur parmi les dix que Pennac nous accorde.
Cette maladie textuellement transmissible produit un état dans lequel "le cerveau prend (momentanément) les vessies du quotidien pour les lanternes du romanesque".
Le mot important ici est momentanément.
Wikipédia en donne une définition plus complète dont par pudeur et aussi par convenance personnelle, je ne retiens que la première moitié : "un état d’insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes personnes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque".
Je remarque ici la référence à l'âge de la personne atteinte de la maladie. Pennac fait aussi référence aux lectures des adolescents en décrivant le bovarysme.
C'est peut-être le couplage avec une autre maladie, l'adulescence, qui fait que le bovarysme déborde dans certains cas jusqu'à la quarantaine, voire au delà dans le cas que j'ai en tête. L'adulescence est donc "le prolongement de l’adolescence en dépit de l’entrée dans l’âge adulte".
Si je parle de bovarysme est que quelqu'un, dont je tairai le nom pour éviter un procès en justice, m'a parlé d'une connaissance qui avait essayé de soigner son conjoint de cette terrible maladie.
Au début, le thérapeute improvisé n'avait pas fait le bon diagnostic, d'autant plus que le malade était incapable de lire un livre. En effet, étant plutôt adepte de la tradition orale, le patient avait tendance à s'identifier avec les malheurs des autres. En soi, cela n'est pas une mauvaise chose quand il s'agit d'empathie, mais ici ce n'était pas le cas. En tout cas, le malade avait démontré de manquer terriblement d'empathie.
J'ai eu du mal à croire que quelqu'un puisse être atteint simultanément de bovarysme, adulescence et manque totale d'empathie, mais on m'a assuré que le conjoint-soignant a toujours fait preuve d'intégrité et d'honnêteté. Et en fait, c'est ça qui l'a sauvé. Efin, ça et sa naïveté.
En effet, cette triple maladie nécessitait plus qu'une tri-thérapie, et le pauvre epoux-psy a fini épuisé et mal-en-point. Et comme toujours dans le bovarysme, il a été accusé d'avoir inoculé le virus au malade. Ce qui aurait pu être une très mauvaise chose s'est transformé en un soulagement, car le bovarysme ayant atteint son climax, le malade a contredit Pennac : "ce n'est pas parce que ma fille collectionne les Harlequin qu'elle finira en avalant l'arsenic à la louche".
Et Day Tripper prit a ticket to ride et maintenant Dr. Robert lui tient la louche.
Doctor Robert, you're a new and better man
He helps you to understand
He does everything he can, Doctor Robert
Mais comme le dit Pennac, "jamais dupes, toujours lucides, nous passons notre temps à nous succéder à nous mêmes, convaincus pour toujours que madame Bovary c'est l'autre".
Je retourne vers "La magnitud de la tragèdia" de Quim Monzó.