Jordi Inglada
29 Jun 2013

Bovarysme

La première fois que j'ai vu une référence au bovarysme c'est dans le livre de Daniel Pennac "Comme un roman". Le droit au bovarysme est le sixième droit imprescriptible du lecteur parmi les dix que Pennac nous accorde.

Cette maladie textuellement transmissible produit un état dans lequel "le cerveau prend (momentanément) les vessies du quotidien pour les lanternes du romanesque".

Le mot important ici est momentanément.

Wikipédia en donne une définition plus complète dont par pudeur et aussi par convenance personnelle, je ne retiens que la première moitié : "un état d’insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes personnes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque".

Je remarque ici la référence à l'âge de la personne atteinte de la maladie. Pennac fait aussi référence aux lectures des adolescents en décrivant le bovarysme.

C'est peut-être le couplage avec une autre maladie, l'adulescence, qui fait que le bovarysme déborde dans certains cas jusqu'à la quarantaine, voire au delà dans le cas que j'ai en tête. L'adulescence est donc "le prolongement de l’adolescence en dépit de l’entrée dans l’âge adulte".

Si je parle de bovarysme est que quelqu'un, dont je tairai le nom pour éviter un procès en justice, m'a parlé d'une connaissance qui avait essayé de soigner son conjoint de cette terrible maladie.

Au début, le thérapeute improvisé n'avait pas fait le bon diagnostic, d'autant plus que le malade était incapable de lire un livre. En effet, étant plutôt adepte de la tradition orale, le patient avait tendance à s'identifier avec les malheurs des autres. En soi, cela n'est pas une mauvaise chose quand il s'agit d'empathie, mais ici ce n'était pas le cas. En tout cas, le malade avait démontré de manquer terriblement d'empathie.

J'ai eu du mal à croire que quelqu'un puisse être atteint simultanément de bovarysme, adulescence et manque totale d'empathie, mais on m'a assuré que le conjoint-soignant a toujours fait preuve d'intégrité et d'honnêteté. Et en fait, c'est ça qui l'a sauvé. Efin, ça et sa naïveté.

En effet, cette triple maladie nécessitait plus qu'une tri-thérapie, et le pauvre epoux-psy a fini épuisé et mal-en-point. Et comme toujours dans le bovarysme, il a été accusé d'avoir inoculé le virus au malade. Ce qui aurait pu être une très mauvaise chose s'est transformé en un soulagement, car le bovarysme ayant atteint son climax, le malade a contredit Pennac : "ce n'est pas parce que ma fille collectionne les Harlequin qu'elle finira en avalant l'arsenic à la louche".

Et Day Tripper prit a ticket to ride et maintenant Dr. Robert lui tient la louche.

Doctor Robert, you're a new and better man

He helps you to understand

He does everything he can, Doctor Robert

Mais comme le dit Pennac, "jamais dupes, toujours lucides, nous passons notre temps à nous succéder à nous mêmes, convaincus pour toujours que madame Bovary c'est l'autre".

Je retourne vers "La magnitud de la tragèdia" de Quim Monzó.

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