Jordi Inglada
04 Feb 2015

expert.py

L'autre jour je discutais avec mon ami Gilles sur la frustration ressentie face à des services clients qui n'en sont pas. Que ce soient des avatars appelés conseillers virtuels ou des humains qui suivent une procédure préétablie pour essayer de vous donner une réponse à une question posée, il me disait que c'est pareil. Et qu'en fait, il vaudrait mieux qu'il n'y ait pas d'humain dans le système, car ça doit être désagréable pour eux de recevoir des remarques méprisantes voire des insultes de la part des clients.

Notre conversation a dérivé vers l'idée générale d'automatisation du travail pour enfin arriver au constat que les possibilités ne se limitent pas à des tâches répétitives pour lesquelles des procédures explicites peuvent être établies. Ce qui, il y a quelques années, était encore considéré comme de la science fiction ou des utilisations de l'intelligence artificielle qui restaient au niveau de la démonstration, est en train de devenir presque banal.

Ceux qui utilisent les services de Google, Twitter ou Facebook sont maintenant habitués à la reconnaissance faciale sur les photos ou l'interprétation automatique du langage naturel pour proposer des publicités ciblées.

Plus insidieux encore est le filtrage des messages reçus (priority inbox dans Gmail ou sur les flux de messages Facebook ou Twitter) qui ne présentent que ce qui est censé les intéresser en fonction d'un ensemble de critères qui leur conviennent mais qu'ils n'ont pas choisi explicitement. Cela a rappelé Gilles des idées qu'il avait eues il y a quelques années quand il participait à des commissions de choix où siégeaient des experts. Je ne dévoilerai de quoi s'agissait-il dans ces commissions, car ce qui vient pourrait être considéré comme un manque de professionnalisme de la part des experts mais aussi de Gilles.

Je n'ai pas les éléments pour défendre les experts, mais à la décharge de mon ami Gilles, je dirais qu'il était jeune et qu'il ne se rendait pas compte des enjeux de haute importance qui y étaient traités. Dans ces commissions il s'agissait d'évaluer des dossiers. Beaucoup de dossiers en peu de temps. Souvent, le panel d'experts était composé de vrais experts, très bons, mais pas du domaine concerné. Apparemment, ceci n'était pas considéré comme un problème par les méta-experts qui organisaient les commissions.

Malheureusement, cette situation transformait les évaluations en une sorte de mélange de loterie combinée à l'inquisition où chaque expert essayait de s'en sortir sans être trop ridicule.

Au bout que quelques commissions, Gilles croyait être capable d'anticiper les réactions de la plupart des experts (ils étaient des experts professionnels et donc souvent les mêmes). La quantité de dossiers à évaluer poussait les experts à faire très vite et malheureusement à bâcler le travail. La plupart fonctionnaient en pilotage automatique. Ceci désespérait Gilles. J'ai d'autres amis qui auraient eu envie de frapper certains des experts, mais l'ami dont il est question ici n'est pas un garçon violent. Il est plutôt passionné d'informatique et donc sa frustration vis-à-vis des experts s'est traduite par une envie de les remplacer par des algorithmes. En séance, il regardait les experts et voyait des logigrammes.

La frustration augmentant, ces logigrammes sont devenus du pseudo-code. Et de là, il n'a pas pu s'empêcher de franchir le pas et de coder chaque expert en séance. Il a fait de l'eXtreme programming en temps réel. Il est comme ça, mon ami : ce sont les méthodes à Gilles.

Certains des experts étaient parfaitement clairs ordonnés et élégants. Ils les remplaçait par un script Python. D'autres faisaient beaucoup attention à la forme et peu au fond des dossiers, ils devenaient des classes Ruby.

Certains, on le voyait, avaient été comme cela, mais appartenaient à une autre époque. Ils méritaient du Java. D'autres étaient, malgré tout efficaces, mais parfois difficiles à suivre. Il leur accordait du C++. D'autres étaient rapidement débordés dès qu'ils avaient plusieurs dossiers à traiter. Ils finissaient en script Matlab.

D'autres, avaient une telle mémoire des dossiers qu'ils avaient traités pendant des années, qu'il fallait les remplacer par du SQL. D'autres étaient incompréhensibles, désordonnés, embrouillés. Ils méritaient à peine un peu de Perl, voir de l'awk et il avait envie de les envoyer vers /dev/null.

Il était déçu de ne jamais avoir pu se servir du Lisp, qu'il réservait pour le jour où il croiserait un expert qui se conduirait de façon élégante, intelligente et iconoclaste, mais juste.

Gilles a beaucoup mûri professionnellement et a fait reconnaître ses compétences. D'ingénieur junior il est passé architecte, puis chef de projet. Il a récemment atteint la sublimation et a été nommé responsable technico-commercial.

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